
Il y a près de neuf siècles, la civilisation amérindienne de Cahokia, considérée comme la plus vaste agglomération précolombienne au nord du Mexique, a entrepris un exploit remarquable : l’abattage et le transport d’un arbre colossal sur une distance dépassant 180 kilomètres. Ce tronc, aujourd’hui désigné sous le nom de Mitchell Log, représente le plus imposant vestige de ce type jamais mis au jour sur le site, selon une récente publication relayée par Live Science. Ces structures, appelées « poteaux indicateurs », étaient traditionnellement érigées dans des espaces centraux, tels que les places publiques, les monticules cérémoniels ou les édifices majeurs de la cité.
À son zénith, Cahokia abritait jusqu’à 20 000 résidents. « La cité a rapidement grandi à la fin du XIe siècle, avec des immigrants représentant jusqu’à un tiers de la population, avant d’atteindre son apogée au milieu du XIIe siècle lorsque biens, personnes et idées se sont étendus du golfe du Mexique jusqu’aux Grandes Plaines », détaillent Nicholas Kessler et Erin Benson, co-auteurs de l’étude. L’essor démographique et culturel de Cahokia nécessitait de nouveaux repères pour orienter et fédérer ses habitants.
Les poteaux monumentaux ne se limitaient pas à une fonction de signalisation. Leur rôle s’étendait bien au-delà de l’utilitaire, touchant à la sphère spirituelle et symbolique. Dans la cosmologie cahokienne, ces poteaux étaient implantés à des emplacements stratégiques — places, tertres, temples — et incarnaient l’axis mundi, reliant le ciel, la terre et le monde souterrain. Ils servaient ainsi de médiateurs entre les différentes sphères de l’univers et les relations du peuple avec ces forces, selon les chercheurs.
Symbolisme et spiritualité des poteaux indicateurs à Cahokia
Jusqu’à récemment, la chronologie précise de l’érection de ces poteaux restait incertaine. Les spécialistes ignoraient à quel moment exact les habitants de Cahokia avaient commencé à dresser ces structures imposantes, ni quand cette pratique avait pris fin. L’étude approfondie du Mitchell Log permet aujourd’hui d’affiner cette datation et d’éclairer le contexte historique de ces installations.
Pour remonter à l’origine du Mitchell Log, l’équipe scientifique a eu recours à la datation au radiocarbone ainsi qu’à l’analyse isotopique du strontium, des méthodes essentielles pour déterminer la provenance géographique des arbres anciens. Les résultats révèlent que le tronc, mesurant 18 mètres de long et pesant entre 4 et 5 tonnes, provenait d’une forêt située à plus de 180 kilomètres au sud de l’Illinois. Les chercheurs avancent que ce transport aurait été réalisé soit par flottaison, soit par voie terrestre sur des sentiers aménagés.
Datation, transport et contexte historique du Mitchell Log
L’examen des cernes de croissance du tronc indique que l’arbre a été abattu en 1124, une période correspondant à l’apogée de Cahokia. Le poteau serait resté en place entre 1150 et 1175, une époque marquée par d’importants bouleversements : réorganisation des échanges commerciaux, épisodes de sécheresse et transformations sociopolitiques majeures.
La question demeure : tous les poteaux de la cité ont-ils été retirés simultanément ? Les chercheurs n’ont pas encore tranché. Ce qui est avéré, c’est que Cahokia fut définitivement désertée vers 1400, un abandon dont les causes restent, à ce jour, énigmatiques.



