
L’idée d’une économie lunaire sérieuse ne relève plus de l’imaginaire. Des organismes américains comme la DARPA et l’Air University Press ont récemment publié un guide de référence, coordonné par Michael Nayak, réunissant plus de cent spécialistes pour envisager les prérequis d’un véritable marché sur la Lune.
Ce document, résultat de l’initiative LunA-10, propose un plan détaillé pour les dix prochaines années. Il vise à jeter les bases techniques, économiques et logistiques d’une infrastructure spatiale capable de soutenir des échanges commerciaux pérennes. L’accent est mis sur des services essentiels tels que l’énergie, la logistique et les télécommunications.
Pour qu’une telle économie fonctionne, il ne suffit pas de transporter du matériel sur place. Il faut créer des services autonomes capables de répondre à la demande de clients publics ou privés. Cela implique aussi la mise en place de standards interopérables, afin d’éviter les incompatibilités déjà constatées dans d’autres industries.
La DARPA ne compte pas devenir opérateur direct sur la Lune. Son rôle consiste à guider les premiers investissements et à limiter l’incertitude, dans le but d’attirer des acteurs privés. Ce choix stratégique vise à construire un écosystème où la coordination prévaut, évitant ainsi la fragmentation néfaste à l’innovation.
Les défis physiques sont loin d’être négligeables. Sur la Lune, les températures varient de +127°C à -173°C selon le cycle jour-nuit. “Un système économique lunaire ne peut pas fonctionner uniquement durant les périodes d’ensoleillement.” Il faut donc concevoir des dispositifs de régulation thermique sophistiqués pour garantir la continuité des opérations.
L’assurance spatiale représente également une difficulté. Selon Nayak, le manque de modèles de risques adaptés rend la couverture assurantielle coûteuse et dissuasive pour les investisseurs. Le guide recommande d’impliquer les assureurs dès la conception des missions, afin d’établir des standards de fiabilité qui rendraient les risques plus faciles à évaluer.
La question de l’autonomie énergétique s’avère cruciale. Déployer des systèmes de production d’énergie robustes et légers, qu’ils soient solaires, nucléaires ou hybrides, est indispensable. Sans cette capacité, toute tentative de développement économique resterait dépendante de coûteux ravitaillements depuis la Terre.
L’exploitation des ressources lunaires, en particulier les terres rares et les métaux du groupe platine, suscite de nombreux espoirs. Toutefois, les connaissances sur la composition du sous-sol lunaire et sur la rentabilité de ces gisements restent limitées. “Les hypothèses actuelles s’appuient sur des analogies avec la géologie terrestre. Or, la Lune n’a pas suivi la même histoire tectonique.”
Pour combler ce manque de données, la DARPA mise sur le programme LASSO, qui prévoit le déploiement de nano-satellites chargés de cartographier précisément la surface lunaire. Ce type de mission, rapide et économique, devrait permettre d’affiner les projections et d’orienter les futures stratégies d’exploitation.
Un autre enjeu concerne l’utilisation locale des ressources extraites. Même si certains matériaux s’avèrent exploitables, leur transport vers la Terre pourrait annuler toute rentabilité. Le guide privilégie donc l’idée de transformer ces ressources directement sur place, créant ainsi une chaîne de valeur locale et réduisant la dépendance aux importations.
Le fonctionnement d’une économie lunaire suppose aussi une logistique fluide entre la Terre, son orbite basse et la Lune. Cela implique la création de relais orbitaux, de modules de transfert automatisés et d’un réseau de communication permanent. Le développement d’un système de navigation propre à l’environnement lunaire est aussi considéré comme fondamental.
Le guide insiste sur la nécessité d’une architecture ouverte, permettant l’interopérabilité entre entreprises privées, agences publiques et militaires. Ce principe vise à éviter la duplication des efforts et à garantir la compatibilité des différents modules utilisés sur la Lune.
La question de la gouvernance ne peut être éludée. L’accès équitable aux infrastructures lunaires, dans un contexte où le traité de 1967 interdit toute appropriation nationale, reste à définir. L’essor d’une économie lunaire ne pourra aboutir que si les bases techniques, logistiques et réglementaires sont posées dans un cadre de coopération internationale.



