
Les grandes fresques animalières des grottes de Lascaux, Chauvet, Cosquer ou encore Pech-Merle ont longtemps consacré Homo sapiens comme le pionnier de l’art figuratif. Le réalisme et la sophistication de ces œuvres, dont certaines remontent à 45 000 ans dans la grotte de Sulawesi, témoignent d’une intention artistique réfléchie et d’un symbolisme élaboré. La maîtrise technique et la portée symbolique de ces peintures ont façonné notre compréhension de l’émergence de la pensée symbolique chez l’humain.
Pourtant, des découvertes récentes viennent remettre en question cette chronologie établie. Sur les parois de plusieurs grottes espagnoles, des traces discrètes de mains et des motifs géométriques simples — traits, lignes, points — ont été identifiés. Ces marques, présentes notamment dans les grottes de La Pasiega, Maltravieso et Ardales, sont datées de plus de 60 000 ans, soit bien avant l’arrivée de Sapiens en Europe.
Un traitement d’image sophistiqué a permis de révéler, dans la grotte de Maltravieso, d’anciennes empreintes de mains réalisées au pochoir. Ces traces, datées de plus de 66 000 ans, ont été attribuées à Néandertal. Selon les auteurs, « Seul un traitement d’image permet de révéler les anciennes traces de mains réalisées au pochoir dans la grotte de Maltravieso (Espagne). Elles ont été datées de plus de 66 000 ans et attribuées à Néandertal. » Ces découvertes invitent à reconsidérer la complexité cognitive de cette espèce humaine longtemps sous-estimée.
Origine des activités symboliques chez Néandertal et analyse des pigments
La question demeure : ces motifs néandertaliens relèvent-ils d’une démarche symbolique comparable à celle de Sapiens, ou s’agit-il de marques opportunistes sans véritable intention artistique ? L’analyse des pigments utilisés pourrait apporter des éléments de réponse et éclairer la culture matérielle de Néandertal. La nature et la préparation des matériaux employés constituent un indice clé pour comprendre l’intention derrière ces gestes.
Une avancée significative provient d’une récente étude publiée dans Science Advances. Des fragments d’ocre, retrouvés sur plusieurs sites néandertaliens en Crimée et en Ukraine, datés entre 130 000 et 33 000 ans, ont été minutieusement analysés. Les résultats révèlent que ces morceaux d’ocre ont été intentionnellement façonnés, suggérant une préparation délibérée des outils de peinture, à l’instar de Sapiens.
Crayons préhistoriques et implications pour la pensée néandertalienne
Les marques d’usure observées à la surface de ces fragments témoignent d’un usage répété. Les chercheurs avancent que Néandertal fabriquait et retaillait régulièrement de véritables « crayons » d’ocre, utilisés pour décorer les parois, les vêtements ou même les corps. Cette pratique révèle une capacité à créer et à utiliser des objets dans un but de communication symbolique, traduisant une pensée abstraite avancée.
Ces données viennent bouleverser les idées reçues sur les aptitudes cognitives de Néandertal. Loin de l’image d’un hominidé archaïque, il apparaît désormais comme un acteur à part entière du développement de la culture symbolique. La découverte de ces « crayons » préhistoriques invite à reconsidérer la place de Néandertal dans l’histoire de l’art et de la pensée humaine.



