
Les orques, réputées pour leur intelligence et leur efficacité prédatrice, viennent de dévoiler un comportement inédit dans le golfe de Californie. Des chercheurs, dans une étude parue dans Frontiers in Marine Science, ont observé ces cétacés s’attaquer à de jeunes requins blancs, mettant en œuvre une stratégie de chasse particulièrement élaborée. Ce phénomène met en lumière la plasticité comportementale remarquable de ces mammifères marins.
Au large des côtes mexicaines, le groupe d’orques surnommé la « bande de Moctezuma » a été au centre de ces observations. Déjà connu pour ses attaques sur des requins-baleines, ce clan cible désormais spécifiquement les jeunes requins blancs. Les scientifiques ont noté l’utilisation d’une technique bien documentée chez les biologistes marins : le retournement du requin sur le dos, induisant une immobilité tonique. Ce procédé plonge la proie dans un état de paralysie temporaire, la rendant totalement vulnérable.
Techniques de chasse sophistiquées des orques dans le golfe de Californie
Jesús Erick Higuera Rivas, biologiste marin et directeur de Conexiones Terramar, explique : « Cet état temporaire rend le requin sans défense, permettant aux orques d’extraire son foie riche en nutriments et probablement d’autres organes avant d’abandonner le reste de la carcasse ». Trois attaques distinctes, survenues entre 2020 et 2022, ont été documentées. À chaque fois, la coordination entre plusieurs femelles était manifeste : elles épuisaient d’abord le requin, le poussaient à la surface, puis le retournaient pour provoquer son immobilité.
Quelques instants après la capture, les orques replongeaient, tenant dans leur gueule le foie du squale, un organe hautement énergétique. La distribution de cette ressource entre les membres du groupe a également été observée, illustrant la complexité sociale et alimentaire de l’espèce.
Ce comportement, bien que rare, révèle un degré d’organisation et de partage rarement égalé chez les prédateurs marins. Les scientifiques soulignent que cette pratique s’inscrit dans une tradition alimentaire transmise au sein du groupe, renforçant l’idée d’une culture propre aux orques.
Adaptation comportementale et nouvelles opportunités alimentaires
Jusqu’à présent, les orques étaient surtout connues pour s’attaquer à de grands requins blancs adultes dans des régions comme l’Afrique du Sud ou l’Australie. Les cas de prédation sur des jeunes requins blancs dans le Pacifique Nord-Est demeuraient exceptionnels, la dernière attaque documentée datant de 1997. La récurrence de ces événements dans le golfe de Californie suggère une évolution des habitudes alimentaires de ces cétacés.
Salvador Jorgensen, écologiste marin à la California State University, Monterey Bay, précise : « C’est la première fois que nous voyons des orques cibler à plusieurs reprises des jeunes requins blancs ». Il ajoute : « Les adultes fuient rapidement lorsqu’ils détectent des orques et ne reviennent pas avant plusieurs mois. Mais ces jeunes requins peuvent être naïfs face à cette menace ».
Pour Jesús Erick Higuera Rivas, cette adaptation témoigne de l’intelligence et de la capacité d’apprentissage social des orques. « Ce comportement témoigne de l’intelligence avancée, de la pensée stratégique et de l’apprentissage social sophistiqué des orques, les techniques de chasse étant transmises de génération en génération. »
Impact du réchauffement climatique sur la dynamique prédateur-proie
Les chercheurs avancent une hypothèse pour expliquer cette évolution : la hausse des températures et les effets d’El Niño favorisent la présence accrue de jeunes requins blancs dans la région. Cette abondance offre de nouvelles opportunités aux orques, qui adaptent ainsi leur régime alimentaire. Francesca Pancaldi, biologiste marine à l’Institut polytechnique national du Mexique, note : « Jusqu’à présent, nous avons uniquement observé ce groupe d’orques se nourrir que de requins et de raies, mais il pourrait y en avoir d’autres. »



