Animaux

Les animaux possèdent-ils une conscience de la mort, selon de récentes découvertes surprenantes ?


Dans le documentaire Rencontres au bout du monde de Werner Herzog, une scène retient l’attention : un manchot solitaire s’éloigne de sa colonie, ignorant les routes habituelles vers la nourriture ou la sécurité. Herzog s’interroge : « Mais pourquoi ? » Ce comportement énigmatique soulève une question fondamentale : les animaux possèdent-ils une conscience de la mort, voire la capacité de choisir leur propre fin ?

La réflexion sur la mort animale, longtemps réservée à l’humain, s’ouvre aujourd’hui à l’analyse scientifique. Emmanuelle Pouydebat, dans son ouvrage Les oiseaux se cachent-ils pour mourir ? Les animaux et la mort, interroge nos certitudes. Selon elle, « L’être humain a vraiment besoin, quel que soit le sujet, de se sentir unique, mais aussi supérieur. La mort n’y échappe pas ! » Cette affirmation met en lumière notre tendance à projeter nos propres émotions sur le règne animal, tout en refusant d’admettre la complexité de leurs expériences émotionnelles.

Pourtant, la recherche progresse. Des équipes utilisent désormais l’intelligence artificielle pour analyser les réactions émotionnelles des animaux, par exemple en décodant les vocalisations de vaches ou de cochons. Les émotions animales, longtemps niées ou minimisées, s’imposent comme un champ d’étude incontournable. Pouydebat note : « On a observé chez des animaux vivant en captivité des réactions très fortes face à la mort, des émotions intenses qui peuvent conduire à l’autodestruction. »

Conscience de la mort chez les animaux : entre perception et irréversibilité

La question de la conscience de la mort demeure épineuse. Selon Pouydebat, « Plutôt que de parler de conscience de la mort, il est sans doute plus juste de dire que l’animal perçoit la mort en distinction de la vie. Il sait qu’il ne reverra plus l’autre dans cet état de la vie : il ne bouge plus, ne mange plus, ne joue plus. » Cette distinction subtile invite à repenser nos critères d’évaluation de la conscience animale.

Les comportements observés lors du décès d’un congénère varient considérablement selon les espèces et les individus. Chez les chimpanzés, par exemple, certains restent silencieux près du corps, d’autres le secouent ou manifestent de l’agressivité. Cette diversité comportementale suggère une palette émotionnelle bien plus riche qu’on ne l’imaginait. « Leurs réactions ne sont pas stéréotypées, ce n’est pas juste de la génétique », précise la chercheuse.

Un phénomène fascinant, la thanatose, consiste à feindre la mort pour tromper un prédateur. Ce comportement, observé chez de nombreux vertébrés et invertébrés, n’est pas une simple réponse réflexe. « Le fait de pratiquer la thanatose ou pas peut être lié au contexte ou aux capacités de l’animal sur le moment », explique Pouydebat. La couleuvre à nez retroussé, par exemple, simule la putréfaction pour décourager ses agresseurs.

Suicide animal : entre sacrifice et détresse extrême

La question du suicide animal reste controversée. Pouydebat souligne : « Dire que le suicide existe chez certaines espèces est une hypothèse qu’on ne pourra jamais tester. Mais on peut formuler l’hypothèse positive que oui, pour certains animaux, une détresse intense peut conduire à l’autodestruction. » Chez la fourmi de Malaisie, les individus âgés se sacrifient en explosant pour protéger la colonie, un acte qui relève davantage du sacrifice que du suicide conscient.

Les études sur la dépression animale, menées notamment chez les rongeurs et les primates, révèlent des comportements d’automutilation ou de retrait social. « Il y a une hypocrisie terminologique. On ne veut pas dire que les animaux peuvent être dépressifs, alors qu’on observe chez eux des signes d’un mal-être tel qu’ils en viennent à se faire du mal », insiste Pouydebat. Le cas du jeune chimpanzé Flint, mort peu après sa mère, illustre la force du lien émotionnel et la possibilité d’un abandon de la vie par chagrin.

Rituels mortuaires et gestion des cadavres chez les espèces animales

Les comportements funéraires ne sont pas l’apanage de l’humain. Les corneilles, par exemple, se rassemblent autour d’un congénère décédé, émettent des cris spécifiques et l’explorent longuement. Chez certaines fourmis, les cadavres sont évacués, regroupés et parfois recouverts, évitant ainsi la contamination de la colonie. Ces pratiques suggèrent l’existence de véritables rituels, ou du moins de réponses collectives élaborées à la mort.

Les éléphants manifestent une attention particulière à leurs morts : ils veillent le défunt, le touchent, tentent de le relever, puis recouvrent le corps de branchages ou de terre. Ils se souviennent du lieu de sépulture et y retournent parfois des mois plus tard. « Il est évident que cela signifie quelque chose pour eux et que c’est lié à des émotions complexes », observe Pouydebat. Mais l’attitude varie selon les individus, soulignant la diversité des réponses émotionnelles.

Le lien mère-petit face à la mort est particulièrement poignant. Des femelles hippopotames, chimpanzés ou orques refusent de se séparer de leur progéniture décédée, tentant de la ranimer ou la transportant sur de longues distances. « Face à une maman éléphant qui transporte son bébé mort, le tire avec sa trompe, on ne peut pas douter. Bien sûr qu’elle voit et sait qu’il est mort », affirme la biologiste.

Souffrance animale et enjeux éthiques de la conscience de la mort

La reconnaissance de la souffrance animale soulève des questions éthiques majeures. « Cela nous arrange bien de croire que les animaux n’ont pas conscience de la mort, qu’ils ne souffrent pas. Le système nerveux central et les émotions animales comportent encore bien des mystères, mais bien sûr que les animaux souffrent ! » insiste Emmanuelle Pouydebat. Elle appelle à une vigilance accrue et à la prise en compte de la diversité des intelligences et des émotions dans le monde animal, rappelant que leurs réactions à la mort sont aussi variées qu’inattendues.

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