
Dans les Fens, vaste plaine fertile de l’est de l’Angleterre, la chercheuse Nadine Mitschunas s’affaire autour de plants de riz arrivés à maturité. Munie de bottes en caoutchouc, elle observe avec satisfaction ces cultures atypiques pour la région, soulignant que « faire pousser du riz n’avait jamais été fait au Royaume-Uni ». Selon elle, cette expérience, rendue possible par l’évolution du climat, démontre que l’idée n’est « pas aussi folle qu’il y paraît ».
Le paysage agricole britannique, longtemps dominé par le blé et les légumes traditionnels, voit aujourd’hui émerger de nouvelles perspectives. Des scientifiques s’intéressent désormais à des cultures comme le riz, les citrons ou les pois chiches, notamment dans le sud du pays. Leur ambition : anticiper les mutations de l’agriculture face aux bouleversements climatiques.
Dans le Cambridgeshire, Nadine Mitschunas pilote des essais sur d’anciennes tourbières réhumidifiées. Cette région, surnommée le « grenier à blé du Royaume-Uni », fournit un tiers des légumes et 20 % des pommes de terre et betteraves du pays. Mais le drainage intensif des sols menace la fertilité et libère du CO₂ stocké dans les tourbières, accentuant les défis environnementaux.
Changement climatique et adaptation des cultures en Angleterre
Craig et Sarah-Jane Taylor, agriculteurs partenaires du projet, constatent eux aussi l’épuisement progressif de leurs terres. « Nous avons bien conscience que nos sols s’épuisent et que nous devons changer pour assurer l’avenir », confie Sarah-Jane. L’accès à l’eau devient un enjeu crucial, aggravé par la multiplication des épisodes climatiques extrêmes et la hausse des températures.
Les projections du UK Centre for Ecology & Hydrology (UKCEH) sont sans appel : d’ici 2080, la culture du blé ou des fraises pourrait devenir difficile avec un réchauffement de 2°C. Si la hausse atteint 4°C, oignons et avoine seraient aussi menacés. À l’inverse, des espèces comme le tournesol, le soja, le pois chiche ou le citron pourraient prospérer dans certaines régions, notamment dans le sud-ouest et sur le littoral écossais.
Dans les Fens, neuf variétés de riz, originaires des États-Unis, des Philippines, de Macédoine ou du Japon, ont été testées. Quatre d’entre elles, dont une colombienne, se montrent particulièrement prometteuses. Les semences, d’abord germées en laboratoire, sont ensuite repiquées en juin, pour une récolte dès octobre. « Je ne mange pas encore mon propre riz », plaisante Nadine Mitschunas, mais elle estime que cela pourrait changer dans la prochaine décennie.
Innovations agricoles et diversification des cultures britanniques
La chercheuse note que « le climat compatible avec la culture du riz s’étend de plus en plus vers le nord » de l’Europe, citant des initiatives avancées aux Pays-Bas et en Allemagne. Parallèlement, elle expérimente d’autres légumes, des fraises et diverses plantes aromatiques, tout en œuvrant à la régénération des tourbières pour renforcer la capacité de captage du CO₂.
« Nous pouvons prendre des risques que les agriculteurs ne pourraient pas se permettre », explique Nadine Mitschunas, soulignant le rôle pionnier de la recherche. D’autres équipes, ailleurs au Royaume-Uni, explorent également de nouvelles cultures. À l’université de Southampton, Mark Chapman dirige une étude sur le pois chiche, testant sa viabilité dans différents terroirs.
Pour Mark Chapman, « si nous attendons 20 ou 30 ans et que nous nous rendons compte que nous ne pouvons plus cultiver du blé comme nous l’avons toujours fait, alors nous aurons un problème ». Il insiste sur la nécessité de réfléchir dès maintenant à l’adaptation des cultures et à l’acceptation de nouveaux produits par les consommateurs, afin de « faciliter la transition ».
Rôle des agriculteurs et acceptation des nouvelles pratiques
Le chercheur souligne : « Nous sommes à un point où nous devons essayer plus de choses. Et on doit impliquer les agriculteurs », car leur connaissance du terrain sera déterminante pour s’approprier ces changements. Dans les Fens, Sarah-Jane et Craig Taylor incarnent cette dynamique. Après la surprise initiale, ils constatent un intérêt croissant de leurs pairs.
Sarah-Jane rappelle : « Il fut un temps où on ne cultivait pas la pomme de terre ou la betterave ici, et maintenant ce sont les principales cultures. Donc pourquoi le riz ne serait pas une option ? Et pourquoi ne pas essayer ? »



