
La frontière entre la rationalité humaine et celle des autres primates s’estompe à la lumière de récentes découvertes scientifiques. Une étude dirigée par la psychologue Hanna Schleihauf, affiliée à l’université d’Utrecht, met en évidence la capacité des chimpanzés à réviser leurs jugements lorsqu’ils sont confrontés à de nouvelles données probantes. Publiée dans la revue Science, cette recherche remet en question la singularité de la pensée critique chez l’humain.
Les chimpanzés ne se contentent pas de simples réactions instinctives. L’équipe de chercheurs a conçu une série d’expériences au sanctuaire de l’île de Ngamba, en Ouganda, afin d’évaluer la manière dont ces primates traitent l’information. Les sujets de l’étude devaient localiser un morceau de pomme dissimulé dans l’une des boîtes, en s’appuyant sur des indices de fiabilité variable.
Lorsque les chimpanzés observaient directement le dépôt du fruit ou le distinguaient à travers une paroi transparente, ils privilégiaient ces éléments tangibles, considérés comme des preuves solides. En revanche, face à des indices plus ambigus — tels qu’un léger bruit ou la présence de miettes — leur choix se révélait nettement plus incertain. Un phénomène marquant a émergé : l’apparition d’une preuve plus convaincante poussait les chimpanzés à abandonner leur hypothèse initiale pour adopter la nouvelle information.
Preuves de second ordre et révision du jugement chez les chimpanzés
Hanna Schleihauf souligne l’importance de cette observation : « C’est vraiment le test le plus fort et le plus difficile pour cette compréhension de ce qu’on appelle la preuve de second ordre », déclare-t-elle dans ScienceAlert. Les chimpanzés ne se limitent donc pas à une réaction automatique, mais évaluent la pertinence et la fiabilité des indices à leur disposition.
Pour approfondir l’analyse, les chercheurs ont introduit des situations délibérément trompeuses. Par exemple, le fruit visible n’était parfois qu’une image collée ou le bruit provenait d’un caillou. Lorsqu’ils découvraient la supercherie, les chimpanzés ajustaient leur choix en faveur de l’indice réellement pertinent. « Montrer qu’ils changent d’avis lorsque la raison est battue en brèche est une preuve qu’ils possèdent cette capacité », précise la chercheuse.
Flexibilité cognitive et métacognition chez les primates
Ces résultats témoignent d’une flexibilité cognitive insoupçonnée. Les chimpanzés ne se bornent pas à accumuler des observations : ils les hiérarchisent, les confrontent et peuvent remettre en cause leurs propres conclusions. « Les animaux n’agissent pas purement par instinct, et leur comportement suit un certain schéma : ils tiennent compte des preuves dans le monde », affirme Hanna Schleihauf dans ScienceAlert.
La chercheuse avance que cette capacité révèle une forme de conscience réflexive, ou métacognition, longtemps considérée comme l’apanage de l’espèce humaine. Cette aptitude à questionner ses propres croyances pourrait, selon elle, trouver ses racines chez un ancêtre commun aux primates.
Implications pour l’étude de la pensée rationnelle animale
Les perspectives ouvertes par cette étude invitent à étendre l’investigation à d’autres espèces, telles que les macaques ou les capucins, pour mieux cerner l’origine évolutive de la rationalité. La remise en question, souvent perçue comme un trait distinctif de l’humain, pourrait ainsi s’avérer partagée avec d’autres primates. Hanna Schleihauf conclut : « Je pense qu’il existe encore d’immenses différences entre nous, mais aussi plus de similarités que ce que nous supposions ».



